Chroniques

La Sexion d'Assaut - L'Ecole des Points Vitaux (2/2)

  • Publié par Ariel Gold
  • lun 10 mai 10 - 02:38
  • Genre: rapfr

Joël : Mais encore une fois, tu ne penses pas que ce ‘vide’ provient des chansons à thèmes ? Qu’ils ne sont tout simplement pas faits pour ça ?

 Ari : Probablement, mais pas seulement. D’une part parce qu’ils en ont déjà fait de très bonnes. Et d’autre part, parce que les textes des autres morceaux de l’album, des morceaux plus kickage/freestyle, sont tout aussi mauvais.

Joël : Et alors ? Quelle importance puisque ce sont justement des morceaux où ça kick et seul le flow compte ?

 Ari : Le flow n’est que la partie visible de l’iceberg. Au delà de l’aisance et de la performance vocale nécessaire, un bon couplet de kickage/freestyle repose aussi (surtout ?) sur un gros travail d’écriture, souvent trop négligé, qui joue beaucoup sur les sonorités : assonances, allitérations, paronomases, etc. Travail qui sur les textes cet album est quasiment absent. C’est le troisième point, et surement le plus important, les textes sont techniquement trop pauvres pour qu’ils puissent se permettre de se focaliser uniquement sur le flow. Les tournures sont simplistes, voire même un peu ridicule par moment « Quand la richesse tente de nous phone ici on capte pas » (En résumé), et les rimes souvent affreusement faciles « T'as pas d'femmes t'es toujours célib', tu travailles pas, t'as qu'du temps libre, j'crois qu'ils recrutent chez Vélib » (Itinéraire d’un chômeur); « Poto c’est chaud s’qui s’passe y’a des os qui s’cassent, dit a tes gosses qu’y s’cassent » (L’école des points vitaux), lorsqu’elles ne sont pas totalement approximatives comme lors de ce refrain « J’kick et guette le coin j’ai les nerfs, tu peux capter l’seum sur mes lèvres, ceux qui croient nous tacler font des rêves, vas-y passe moi les rennes » (L’école des points vitaux). Par rapport à ce qu’ils ont pu faire avant c’est extrêmement faible.

Joël : Tu parles de l’Ecrasement de Tête ?

 Ari : Ah non, absolument pas. Ce street-album aussi fut une déception, hormis trois/quatre morceaux qui relèvent le niveau. Non, je parlais du Renouveau.

Joël : Le Renouveau ? Je ne connais pas.

 Ari : C’est le premier street-album de la Sexion. Du 3eme Prototype plus précisément, composé de Gims, Lefa, Adams, Maska et JR Ochrome, qui était un groupe du collectif. Ex-collectif, puisque Lefa à récemment annoncé que le 3eme Prototype n’existait plus, et que la Sexion d’Assaut était désormais un groupe a part entière.

Joël : Et cet album est bon ?

 Ari : Ouais, à posséder dans sa collection, très bon en tout point, et notamment au niveau de l’écriture pour en revenir à nos moutons, malgré quelques points faibles que je perçois comme étant des erreurs de jeunesse. Quelques rimes faciles et légères « J'reçois pas d'mots d'elle, j'arpente pas les rues d'Châtelet à dire ‘Elle tue, elle !’ » (Loin), quelques phrases bonnes à provoquer une vague de suicide chez les profs de français « C’est chaud, malgré qu'le climat est frisquet, malgré qu' c'est faux, la matrice nous a attristé » (Enième tentative), et une obsession omniprésente qui frôle le racisme concernant ces putains d’enculés de sales avaleurs de sabres de merde « Des fils de pd » ; « C'est bientôt la fin té-ma ya des gens mi-homme mi-femme » ; « Loin des homosexuels, leurs mimiques, leurs gestuelles » ; « toujours anti-homo  ». Sinon les textes sont bons et surtout très travaillés. On y retrouve fréquemment des métaphores originales et autres figures de style improbables « J'suis bloqué dans un rêve, on m'la mise à l'envers, les pieds scotché sur l'plafond quand j'lève la tète je n'vois que l'sol » Parce que souvent) ; « Un rappeur qui devient muet, un vieillard qui vient d'muer » (Le monde à l’envers) ; « Étrangement flamme, enlève le ‘l’ et ça donne femme, enlève le ‘f’ et ça donne lame, inverse les lettres et ça fait mal ! » (Enième tentative), mais surtout une cascade continue d’assonances et d’allitérations dans chaque couplet « J’ai beau prier pour trouver l'truc approprié, ça fait cinq ans qu'j'ai trop crié contre les grands crimes de l'opprimé » (Loin) ; « Les ancêtres sont pas colons, et cette image devient collante. La fin du monde, Coran commande, c'est la piété qu'on recommande. Ca fait trente ans qu'on le corrompt, annonce aux cons, beaucoup d'courroux, beaucoup d'tourments, beaucoup d'coups rudes » (Enième tentative) ; « Nique l'industrie, les mecs du style Justin, les mecs juste ils s'durcissent cinq minutes pour dix sous. Nique leur justice, leur principe part en chute libre, mes parents subissent, leur estime fait l'parachutiste » (Enième tentative). Ce n’est peut-être pas spécialement impressionnant à l’écrit, mais à l’oral c’est une violente déferlante de claques dans la gueule. Cumulées aux flows de dingo qui composent la Sexion, cela frôle presque le beat box par moment, et dans ces cas là peut importe le fond et sa cohérence tellement la forme est impressionnante. Ce qui me chagrine fortement c’est que des phrases comme celles-ci-dessus il y en a des dizaines et des dizaines dans Le Renouveau, alors qu’elles se font très rares dans l’Ecole des Points Vitaux.

Joël : Elles se font très rares, donc il y en a quelques unes ?

 Ari : Ouais il y a quelques passages qui sonnent bien à l’oreille. J’en ai repéré trois, et tous sont tirés de couplets d’Adams : « Là c’est l’équipe de Chaka Zulu, chacun d’nous choque j’sais que ça rend nerveux chaque jaloux, chope ce coup d’tête plus d’chico mais c’est toi qui a voulu, nous on [ ?] sur l’échec, j’veux des chèques car c’est sec avoue le » (Mon gars sur) ; « Ma vie c’est pas shit chatte chicha chichi, on s’applique sur chaque titre et j’sais ap si ça suffit, j’veux pas non plus être chic, soit, on sait qu’ça suscite, suicide, soucis sous shit, c’est pire quand ça s’associe » (L’école des points vitaux) ; « Que voulez-vous ? Les couiller ou les souiller par vos soulier ? Ca m'saoule leurs toux, les coups bas, tous les mecs qui veulent douiller, y'a Souleymane, joue les fous, sous les coups de boules khey tu vas couler, mais d'abord, pull-up, c'est l'poulot, j'fais l'boulot, debout là, avoue-le c'bamboula est cool, pour ce coup là demande à Boulay » (Ca chuchote). Encore une fois, le fond de ces passages est anecdotique, et on s’en branle parce qu’à l’oreille ça tabasse ! En tout cas, déjà qu’à la base ce n’était pas le plus mauvais du crew, Adams Diallo se démarque de plus en plus avec ces textes et un flow plus que correct. C’est clairement la (seule) bonne surprise de cet album. On trouve aussi quelques autres bons passages, comme ce paronomase d’Adams « Merveille /sa mère veuille /Samir veille /salir l’seille » (Changement d’ambiance), cette homonymie de Black M « Y’a celui qui mord la vie et celui qui vit la mort » (En résumé) et cette punchline devenu classique de Gims « Les mécréants voudraient voir Dieu, essayes d’abord de regarder le soleil dans les yeux » (En résumé), mais ils se font malheureusement trop rares, et sont infiniment moins nombreux que sur le Renouveau.

Joël : Tu les trouve moins bon qu’avant ?

 Ari : Ouais clairement, selon moi la Sexion est en régression permanente depuis le Renouveau. Régression symbolisée par l’évolution, le déclin pour être plus précis, de Maska. Comment peut-on passer en trois ans de phrases comme celles-ci « Étrangement flamme, enlève le ‘l’ et ça donne femme, enlève le ‘f’ et ça donne lame, inverse les lettres et ça fait mal ! » (Enième tentative) ; « Loin d'être son soce, ah ça c'est sûr, j'ai délacé mes cent chaussures, j'me suis lassé de ces gars sûrs, qui disent ‘t'inquiète’ et t'crachent dessus, assument très peu quand y’a cassure, et viennent sucer quand y’a des sous » (Loin) ; à d’autres comme celles là « On dit qu’les chiens font pas des chats pourtant trop d’chattes sont des chiennes » (L’école des points vitaux) ; « Les nymphos aiment faire les courses parce qu’il y’a souvent une queue immense » (En résumé). A ce rythme Maska va finir illettré. Et Notons que cette dernière phrase se révèle être la première de l’album. C’est probablement le pire incipit du monde. Et encore c’est un putain de doux euphémisme tellement c’est naze. Comment peut-on ouvrir un album aussi attendu avec une ‘punchline’ aussi minable ? Même Bigard commence ses spectacles de manière plus classieuse. C’est vraiment dommage car Maska était peut être le meilleur lyriciste du groupe il y a trois ans de cela.

Joël : Puis même au niveau du flow, ce pauvre Maska n’est pas terrible.

 Ari : Là aussi en déclin je trouve. Je ne peux m’empêcher de verser une larme lorsque je le réécoute sur Enième tentative ou Loin. Il rappait beaucoup en intonation descendante avec sa voix d’ado pré-pubère, ce qui était spécial mais franchement pas dégueu’. Aujourd’hui c’est plus monotone, bien moins remarquable. Ce n’est clairement pas le meilleur, mais j’imagine qu’avec les quotas imposés par la discrimination positive, les autres n’ont pas d’autres choix que de faire avec hein. Sinon je ne serais pas certain qu’il soit encore dans le groupe. D’ailleurs, notons que par pure solidarité, le gros cœur de JR Ochrome a.k.a je souffre d’un profond sentiment d’infériorité légitime qui fait que je commence presque tous mes couplets en citant mon blase, se met au même niveau de monotonie que Maska sur cet albums.

Joël : Et les autres MC's t’en penses quoi ?

 Ari : Les prestations sont assez homogènes, peut être trop, comme s’ils étaient sur la retenue. Aucun ne surclasse les autres, aucun n’est ridicule. Doumams est un peu léger. Lefa fait le taff’ proprement. Adams est la très agréable surprise de cet album, constant et meilleur que sur les disques précédents. Black M est plutôt bon, malgré son gimmick Charal qui commence à me rendre ouf’ et des performances un peu irrégulière. Il y a un monde entre son couplet sur La drogue te donne des ailes et celui de J'ai pas les loves. Puis évidemment, il y a le Usain Bolt local comme disait je ne plus quel webzine, l’intérêt principal du groupe. Son charisme et sa facilité au micro, appuyés par les couplets très corrects qu’il lâche sur cet album, font qu’il reste probablement le meilleur rappeur, quand il rappe. Car il se démarque plus pour ses refrains chantés que pour ses couplets rappés sur cet album, ce qui annihile totalement la touche fraiche et originale que cela apportait auparavant. Certains refrains sont en deviennent même lourd voire un peu niais, renforcés par l’instru’ (La drogue te donne des ailes, Tu l'as fait pur elle, Rien ne t'appartient). Gims est affreusement mal exploité, et il serait très intéressant de savoir pourquoi. Volonté de sa part de se démarquer ? Volonté du reste du groupe pour qu’ils puissent mieux se mettre en valeur sur les couplets ? Toujours est-il que c’est une déception de plus, un véritable gâchis de voir Usain Bolt faire tranquillement une randonnée.

Joël : T’as vaguement parlé des instru’, que penses tu des prod’s ?

Ari : Franchement je les trouve faiblardes pour un album de rap, mais elles ne font que suivre logiquement la direction qu’a pris l’album. Une direction un peu tendancieuse à des kilomètres du Renouveau, un peu trop variété, pas assez hip-hop. Mais ce virage était un peu prévisible, il y avait des signes, déjà même sur Le Renouveau avec anti-tecktonik notamment. D’ailleurs marrant de critiquer en 2007 la tecktonik et ses armées de fluo-boys, pour tourner trois ans plus tard le clip de Casquette à l’envers avec des tee-shirts tous plus flashy les uns des autres. C’est un peu comme dire à la même époque « La mort c’est vraie, comme Skyrock premier sur les trav’s » (Enième tentative), et aujourd’hui tourner en boucle sur cette même radio. Enfin la cohérence et les rappeurs hein…

Joël : Tu tombes bien bas là…

 Ari : Ouais j’exagère mais cette attitude, bien que très logique, me frustre toujours. Tout autant que les réactions d’ailleurs. Quand c’est Diams qui le fait, c’est qu’une sale pute qui donne son cul, alors que quand c’est la Sexion c’est compréhensible, il faut bien manger, etc. Mais pour en revenir à L’Ecole des Points Vitaux, c’est un album clairement commercial, qui donne l’impression que chaque morceau est une avance aguicheuse à Laurent Bouneau. On sent nettement que le but de cet opus est de plaire au grand public, à la masse et c'est pourquoi il y en un peu pour tout le monde. On trouve des tubes (Casquette à l’envers, Désolé) pour plaire aux auditeurs de Skyrock, des morceaux plus ‘hip-hop’ pour les amateurs de rap (En résumé, Paname lève toi, Changement d’ambiance), des morceaux de kickers pour les gars qui les écoutent rapper depuis les freestyles dans les cages d’escaliers (Mon gars sur, L’école des Points vitaux, Ca chuchote), des morceaux avec des refrains chantés pour que les jeunes filles puissent les brailler en faisant un cœur avec les mains lors de concerts à 50 euros la place (Ils appellent ça, Tu l’as fait pour elle, rien n’t’appartient, J’ai pas les loves), un morceau pour faire bouger avant d’aller en boite (Wati by night). Ce mélange forme un pot-pourri peu digeste. Un album qui me rappelle le hachis parmentier servi à la cantine le vendredi midi. Frais au premier abord, il n’y avait pas besoin d’être un fin observateur pour remarquer rapidement que les pseudo-cuisinières y avaient mélangé tous les restes devenus immangeables des repas de la semaine. Métaphore qui prend tout son sens lorsque l’on sait que les premiers ravis de cet album se regroupent bien plus dans les cantines scolaires que les restaurants universitaires.

Joël : Je te trouve quand même dur, à t’entendre cet album est une vraie merde pour adolescents.

 Ari : Non, ce n’est pas un album affreux, mais je ne le trouve pas bon du tout pour autant. Pour résumer les textes sont affreusement légers et les productions trop édulcorées, ce qui fait que l’intérêt est grandement limité. Comment veux-tu faire aimer du hachis parmentier à un gars qui a grandi en se gavant de caviar ? Quand j’entends certain affirmer que c’est un classique comparable à L’Ecole du Micro d’Argent, pour moi la similitude s’arrête après le premier mot du titre de l’album.

Joël : Je n’irai pas jusque là, mais c’est un album tout à fait honorable, qui apporte un peu de fraicheur dans le rap français.

Ari : Il n’en reste pas moins anecdotique. Pour ma part, la Sexion est un vivier d’individualités certes talentueuses mais qui évoluent de déception en déception, en régression permanente depuis Le Renouveau. A l’image du Paris S.G putain, à croire que c’est un syndrome typiquement parisien. L’énorme potentiel dont dispose le groupe n’arrive pas à exploser. Le plus rageant est de voir Maitre Gims, en quelques sortes un Stéphane Sessegnon, un numéro 10 capable de matchs de folie qui se contente simplement de trottiner. Le genre de joueur qu’on déteste aimer, et que l’on croit totalement lorsqu’il nous rappelle qu’il est « qu’a trente pourcents d’nos foutus capacités » (L’école des points vitaux).

Joël : Et tu ne penses pas que ce talent va finir exploser ?

 Ari : Non, je pense que c’est trop tard maintenant qu’ils sont entrés dans le système. Ils vont sortir un second album de la même trempe dans deux piges, puis se sépareront de Maska et JR Ochrome pour continuer en comité réduit ou en solo. Maska formera un groupe avec Menzo et Freeman, et crachera sur Gims pendant que ce dernier, devenu une sorte de Nate Dogg du rap français, enregistrera le tube de l’été avec David Guetta et Sean Paul.

Joël : J’espère qu’ils te donneront tord. Sur ce, cette discussion fut très sympa mais il faut que je retourne taffer. Repasse quand tu veux, on tchatchera rap à nouveau.

Ari : Ok ça roule Carlton. Ciao.

 

-Ari-

 

 

Ma note: 3/10.

 

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Commentaires (2)
  • 0
    fake
    lundi 24 mai 2010 - 22:06
  • 0
    Bernie77
    mercredi 9 mars 2011 - 12:45
    Excellent article, et puis j'adhère au propos, donc merci pour cette chronique ainsi que celle de l'Algérino.

    Je bosse en médiathèque et dois acheter du rap. Je me passerais bien de ces deux-là, mais bon... j'ai du Rocé, du Casey et autres pour compenser ^^.

    J'aime particulièrement cette réplique : "La vieille qui travaille au rayon charcuterie du supermarché aurait pu me dire la même chose, à la différence qu’elle m’aurait surement offert un bout de saucisson.".

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