Chroniques

La Sexion d'Assaut - L'Ecole des Points Vitaux (1/2)

  • Publié par Ariel Gold
  • lun 10 mai 10 - 02:42
  • Genre: rapfr

Bien qu’à juste titre considéré par l’opinion publique comme étant le maitre incontesté de la manipulation des masses et de la pensée unique, je me disais que Joseph Goebbels n’était en réalité rien d’autre qu’un simple et vulgaire mentaliste. Je vais sommairement présenter cet emblématique personnage pour que vous puissiez suivre sans encombre le déroulement de cet excellentissime papier, car j’ai entendu Zemmour dire que les amateurs de sous-culture hip-hop étaient tous sous-éduqués, et Zemmour à toujours raison. Joseph Goebbels était donc un philosophe allemand à l’allure maladive. Un petit homme rachitique au teint sale et disposant d’un nez proéminent, qui souffrait d’un double handicap physique. Une infirmité du pied qui le faisait affreusement boiter bas coté droit, et des crampes chroniques qui s’étendaient du bras jusqu’à la main, l’obligeant à les maintenir tout deux tendus en l’air. Ces dernières deviendront de plus en plus fréquentes au court de sa vie, ce qui en soit n’est pas surprenant vu que le premier symptôme laissait déjà amplement supposé que ce joyeux philanthrope allemand penchait franchement à droite. Bien que très peu gâté par la nature, Goebbels adorait et développait l’humour. Il cultivait ce paradoxe à tel point que son physique ingrat, à l’extrême opposé de l’idéal arien représenté par un grand blond musclé aux yeux bleus, ne l’empêcha pas de rejoindre en 1922 le Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterparte, avec la même précipitation que le dernier album de l’Algerino pour sombrer dans l’oubli. Derrière ce nom à forte consonance germanique qui écorche l’oreille se cachait un parti politique qui écorchait les juifs, plus connu sous le nom de parti nazi. Son leader charismatique, un certain Adolf Hitler, arriva au pouvoir à la tête de l’Allemagne en 1933. Il nomma immédiatement Goebbels au poste de Ministre du Reich à l’éducation du peuple et à la propagande. Sa mission était d’éduquer le peuple allemand en lui inculquant fermement les bonnes vieilles valeurs ariennes de la doctrine nazie, tel que le racisme, l’antisémitisme et l’antibolchevisme. Les prémices de Pascal le grand frère en quelques sortes, à l’échelle nationale. Toute l’ingéniosité de la chose réside dans le fait de manipuler habillement les individus pour les faire adhérer volontairement à un ensemble d’idées, en les persuadant que l’initiative provient d’eux. Adolf Hitler explique dans Mein Kampf que « La propagande vise à imposer une doctrine à tout un peuple […] la propagande agit sur l’opinion publique à partir d’une idée et la rend mûre pour la victoire de cette idée ». Grâce à Goebbels, les nazis réussirent à dominer très rapidement la population allemande. Indéniablement il restera une pointure dans le domaine, mais force est de constater qu’aujourd’hui un humble inconnu le relègue aisément au stade de vulgaire mentaliste, tellement sa prouesse est impressionnante. Car faire passer les ariens pour une race supérieure, c’est une chose, mais aliéner toute une jeunesse jusque dans le langage et convaincre la France entière que sept branleurs agités de Paname forment le renouveau du rap français, ça c’est sacrement balaise ! Bravo Dawala, chapeau l’artiste. Il faut dire que rien ne nous a été épargné : utilisation massive des médias, images subliminales dans les clips et autres vidéos, distributions gratuites d’objets publicitaires, etc. Les méthodes sont connus et bien ficelées, mais restent affreusement efficaces. Et que ce producteur de couleur noir utilise des procédés qui rappelle ceux des dictateurs nazis pour faire la ‘publicité’ de son groupe, c’est très drôle, d’autant plus lorsque la quasi-totalité du posse est d’origine africaine. Mais cela devient totalement hilarant lorsque l’on sait que le groupe en question s’appelle la Sexion Dachau ! A quand un autodafé des albums de rap non signés Wati-B ?

 

Ces vaines pensées aux relents d’alcool me vinrent il y a quelques jours au rayon rap de la Fnac des Halles, trainant minablement ma gueule de bois. Alors que je recherchais le calme et l’harmonie pour apaiser mon crane douloureux, les yeux rivés sur un écriteau qui présentait la Sexion d’Assaut comme étant « Des vrais rappeurs, une vraie plume, le Wu Tang français (ou la Fonky Family à leur début), 7 Mc’s, tous originaires de Paris intra muros tout est taillé pour faire une sortie identique à celle de La Fouine », une dizaine de jeunes squattaient bruyamment devant le bac de l’Ecole des Points Vitaux. Ces cadavres ambulants vides de vie aux visages squelettiques rongés par le shit, ces sales groupies aux yeux globuleux, vastes encéphalogrammes révélateurs de l’absence totale de libre arbitre et pensées personnelles, chantaient affreusement Désolé sur le son merdique d’un téléphone portable, tout en balançant mécaniquement la tête d’avant en arrière pour marquer le rythme, un sourire idiot aux lèvres, visiblement absolument ravis de se faire profondément sodomiser par Dawala. Tous uniformément vêtus d’une casquette à l’envers et d’un immonde tee-shirt fluo, affiche publicitaire ambulante pour le label Wati-B, les seuls sons qui s’échappaient de leurs claque-merdes vantaient les mérites de ce ‘wati-bon son’ et du refrain ‘mortel’ de Gims le ‘wati-beau gosse, mon gars sur’. S’il existe un point de non retour de la dignité humaine, il venait d’être repoussé. Encore sous l’effet de l’alcool, il ne me manquait qu’un fusil à pompe pour je me prisse à rêver d’avoir découvert un niveau caché de Resident Evil. Et bien que je mourusse d’envie de leur faire passer le plaisir de la pénétration anale, je me suis contenté de détourner la tête par dégout, et de fuir pour ne pas être assimilé de près ou de loin à cette horde d’écervelés. C’est alors que j’aperçus le vendeur du rayon rap, seul à son poste. Un jeune black sympa qui ressemble à Carlton du Fresh Prince of Bel-Air, avec lequel j’avais l’habitude de parler hip hop à l’époque où j’achetais encore des disques. Son torse fièrement bombé, sa moustache frissonnante et son sourire en coin, couplé à mon envie maladive de le voir danser en chantant It’s Not Unusual de Tom Jones, font que mes pieds se dirigent automatiquement vers lui, mus par son charisme surnaturel.

 

 Ari : Salut Carlton.

Joël : Toi ! Wow, ça fait un bail ! Toujours amateur de rap français ? Et c’est Joël mon prénom au fait.

 Ari: Ok Carlton. Ouais toujours, à la différence que je me fais violence pour sortir un peu de mes classiques dans le but voir ce qui se fait de neuf. Et apparemment, la Sexion d’Assaut marche plutôt bien.

Joël : Oui l’album se vend très bien. Ils ont passé les 70 000 ventes il y a quelques jours, ce qui je trouve, n’est pas immérité au vu de ce qu’ils ont apporté au rap français.

 Ari : Arg ! Quoi ? Qu’ont-ils apportés au rap ? Ils ne font que mettre volontairement l’accent sur la forme au détriment du fond, parfois même au point de ne plus comprendre les paroles comme cela peut arriver sur quelques couplets de Gims. Mais où est la nouveauté ? Au contraire, c’est la tendance que suit le rap français depuis une dizaine d’année. Il délaisse de plus en plus son identité vindicative et sa forte tradition d’écriture pour se concentrer uniquement sur la musicalité et le flow. Ce sont justes les descendants de la tradition des collectifs parisiens. En quelques sortes les gosses consanguins de la Brigade et du Saïan Supa Crew, élevés aux ATKellogg’s périmés et aux vieilles cassettes du POS Crew. Sois sérieux Carlton, la Sexion d’Assaut a autant apporté au rap que Bertrand Cantat à la cause féministe !

Joël : Excuse-moi, j’avais oublié que tu étais un jeune con anti new-school.

Ari : Haha, bonne mémoire mais non, cela n’a rien à voir. J’avoue volontiers que le groupe a sacrement de la gueule, qu’il semble exister une forte cohésion entre eux, que les gars ont l’air simples et plutôt intelligents, qu’ils sont proches de leur public comme ils l’ont prouvé lors des divers freestyles géants en ville, mais tout cela ne m’empêche pas de rester lucide. Sous l’unique prétexte qu’ils kickent sec en freestyles, et j’avoue aussi qu’ils savent rapper, on te les présente immédiatement comme la relève du rap français. Faut arrêter de déconner. Pour paraphraser Flynt, rapper « c’est donné à tout le monde, c’est comme taper dans un ballon. Mais faut du taf’ et de l’inspiration pour prendre du galon. Si tu préfères c’est pas parce que tu sais faire un drible que tu peux jouer dans la Liga, le Calcio ou la Premier League ». Dans ce sens, la Sexion est une équipe de bons dribleurs ce qui ne fait pas forcement d’eux de bons footballeurs. Et il faut aussi arrêter de chercher à tout prix le renouveau du rap français, le vrai hip-hop n’est jamais mort. Simplement il est plus rare et moins accessible qu’avant. Le vrai hip-hop n’est pas mort !

Joël : T’es défoncé ? 

 Ari : Juste un testeur de la méthode Coué, méthode qui s’avère être une véritable connerie. Mais putain, ça se voit tant que ça que je n’y crois pas ? Merde. Bref, pour en revenir à la Sexion, la seule chose que l’on peut leur attribuer, c’est une certaine renaissance des freestyles vidéo. Car il faut avouer que ce n’était plus très populaire, hormis les vidéos d’ados de base groupés dans la vieille R5 de leur parent qui bégayent à contretemps quelques rimes affreuses sur une instru’ de Fifty Cent, trop déchirés par la flasque de whisky et le joint qu’ils viennent de se partager. Les chroniques du mois ont un peu revitalisé ce délire. Très sérieux et carrés de la mise en scène aux gimmicks, les freestyles avaient un charme certain.

Joël : Je me suis mal exprimé. Je voulais simplement dire que la Sexion apportait un peu de fraicheur, fait indéniable. Bon sinon t’as écouté l’Ecole des Points Vitaux akhi ?

 Ari : Tu as vraiment une putain de mémoire Carlton, tu te souviens même de mon blase. Ouais, j’ai fini par l’écouté. J’ai naïvement cru que l’engouement indécent autour de cet album était un gage de qualité, alors qu’il est malheureusement uniquement révélateur du nombre de moutons, qui dans un élan de grégarisme primaire, sautent les yeux fermés sur le moindre mouvement à la mode.

Joël : T’as pas aimé ?

 Ari : Non, pas vraiment, c’est une déception pour moi.

Joël : Pourquoi ?

 Ari : Pour tout un tas de raisons. Les lyrics principalement, qui restent la base du rap même pour un groupe de kickers. Ils cumulent les défauts à trois niveaux. Tout d’abord, les textes sont légers, voire carrément maladroit par moment, ce qui est problématique pour un album où la plupart des chansons sont dites à thèmes. A titre personnel, je n’ai rien retenu de ces sons. Aussitôt écouté, aussitôt oublié. Le contenu est fade, et pour preuve chaque morceau peut facilement se résumer en quelques mots. Cherche du travail, la drogue c’est mal, rien ne t’appartient, j’ai pas les loves, je suis désolé, etc. Cela permet au moins de remarquer que les titres sont très bien choisis. L’exemple ultime est évidemment Casquette à l’envers qui tient en une phrase du refrain « On dit que l'habit ne fait pas le moine mais moi on ma jugé parce que j'avais ma casquette à l'envers ». Le reste n’est que branlette vocale totalement insignifiante. C’est dommage, car l’idée de base avait un potentiel énorme. Dommage aussi qu’un morceau comme Ils appellent ça, qui aurait du être une violente accumulation de punchlines haineuses envers l’Etat se limite tristement à un sketch de Kavanagh « un noir ils appellent ça une minorité visible, un aveugle ils appellent ça un non voyant, donc Stevie Wonder est une minorité visible non voyante ? » en moins drôle. La vieille qui travaille au rayon charcuterie du supermarché aurait pu me dire la même chose, à la différence qu’elle m’aurait surement offert un bout de saucisson. La seule chanson qui se démarque réellement est Changement d’ambiance, de par son concept relativement inédit et ses couplets bourrés de chiffres.

Joël : Tu veux dire qu’il y a un manque de fond dans l’écriture ?

 Ari : Totalement. Manque de fond lié à un manque d’originalité. Le coup de la scène mythique de Menace II Society qui est repris dans La drogue te donne des ailes en est un excellent exemple. C’est du sur-entendu dans le milieu du rap. L’effort de ne pas avoir fait un album uniquement basé sur le kickage est remarquable, mais malheureusement les thèmes sont traités de façon un peu trop consensuelle. J’ai la triste impression qu’ils n’ont rien à dire.

Joël : T’es un peu dur. Ce n’est que leur premier album, ils sont peut être encore un peu immature à ce sujet.

 Ari : C’est vrai, mais ça à la limite, ce n’est que le premier point et pas le plus grave. Ce qui me dérange déjà bien plus, c’est que ces textes reflètent le manque flagrant de personnalité des gars dans l’écriture. Ce que je veux dire, c’est qu’il y a des phrases magiques que seuls certains MC’s peuvent écrire, des phrases sorties du plus profond de leurs tripes avec une rage, une sincérité, une émotion bien spécifique. C’est typiquement le cas de Despo par exemple. Son flow est d’une simplicité déconcertante, mais quand tu l’écoutes il dégage un putain de charisme de par ses lyrics et le cœur qu’il y met. Le gars vie tellement ses propres paroles que c’en est presque théâtral. La Sexion c’est totalement l’inverse, les mecs se démarquent au micro grâce à leur prestance vocale mais leurs textes sont tristement impersonnels sur cet album. J’ai l’impression qu’ils n’ont pas d’identité particulière, comme 80% des rappeurs cela dit, mais cela renforce le coté plat et fade de leurs textes. Maska pourrait chanter un couplet de Lefa sans que personne ne s’en rende compte. Ce qui ne serait évidemment pas le cas si Casey rappait un couplet de Diams, ou Rocé un de Morsay.

 

 

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