Si on m'avait dit qu'un jour j'écouterais en entier (et chroniquerais) un album de l'Algérino...
« Wesh Ari ! Bien ou koi ? Hé t'écoutes quoi là ?
- Oï. Le classique et éternel message d'espoir de Rocca à la jeunesse de l'univ...
- Hein ? Qui ?
- Euh... Rocca... Tu sais, le rappeur colombien de la Cliqua, le group...
- Hein ? De quoi ?
- Euh... Rien, laisse tomb...
- Eh t'connais l'Algérino ?
- Ouais bien sur, ce gars là et tous les autres ont bercés ma jeunesse, putain, c'était encore la belle époque du Paris S.G FC. Jimmy, non ? Je crois que c'était un défens...
- Hein ? J'te parle d'un rappeur !
- Ah... euh ok... un lien de parenté avec Tunisiano ?
- Hein ? Kestu m'racontes là ? Sur la tête d’ma mère t’connais rien au rap...
- ...
- Quoi ?!
- Rien... Euh... En fait c'est juste que j'ai grandi dans l'esprit hip-hop français des 90's, esprit que j’adore et auquel je suis resté fidèle. Je vomis le rap actuel, ses dérives électro et ses textes gavés de punchlines débiles. C’est tout, d'où la méconnaissance de ton Alger...
- Vasy arrêtes d'faire l'puriste. Tu l'ouvres alors qu't'as même pas écouté ! Écoutes son dernier album et après tu parleras. »
… comme quoi, tout arrive.
Je dois avouer qu'avant d'être forcé par l'argumentation puérile d'un gamin de seize piges de m'intéresser à cet album, je ne connaissais pas vraiment cet Algerino. J'ai, comme tous ceux qui vivent dans un tant soit peu de civilisation, inévitablement entendu à mon insu Sur la tête de ma mère (et tout aussi inévitablement vomi intérieurement), mais tout en ignorant à ce moment qu'il s'agissait de lui. Durant les deux minutes que mon intérêt curieux mais pas téméraire m'accorda généreusement pour m'informer sur le bonhomme, j'ai eu le temps d'apprendre que c'est un rappeur marseillais aux références variées mais respectables, avec déjà deux albums à son actif, et qui tenait dans une interview de 2005 un discours encourageant: « Pourvu que le Rap ne perde pas ce côté message et ce côté ''je dis pas n’importe quoi quand je rap'' ». C'est donc avec beaucoup d'espoir, mais non sans une certaine appréhension, que je lance la première piste de l'album. Et si la relève du rap marseillais était enfin arrivée ? Et si nous allions renouer avec la générosité enragée du premier album de la FF, ou la poésie pleine de sincérité des textes d'IAM ? Trente secondes d'écoute suffisent pour poser LA seule et vraie question. Et si Menzo n'était officiellement plus le moins bon rappeur marseillais ?
Malheureusement depuis sa déclaration de 2005 beaucoup d'eau a coulée sous les ponts, et apparemment le garçon s'est noyé dans un océan de médiocrité et de grand n'importe quoi à la mode. Effet Miroir est musicalement juste immonde, bercé par les flots merdiques d'instrumentales à forte tendance électro, sur lesquelles se morfond le flow de l'Algerino qui navigue de tout juste acceptable à risible, notamment lorsqu'il insiste lourdement sur les fin de phrase ou accélère brutalement son débit de conneries, ce qui rend l'ensemble déjà inaudible encore moins homogène. L'album est simplement affreux, tout juste bon à exciter les oreilles suintant de fiente, car prisonnières de l'uniformisation gerbante des ondes hertziennes par les maisons de disque (nazis !), d'ados pré-pubères écervelés vivant aux rythmes des tubes de Skyrock et des premières éjaculations. Ma sensibilité à fleur de peau ne peut s'empêcher d'avoir une pensée émue pour tous ces parents qui, ravis de rejoindre le calme convivial du cocon familial épuisés après une dure journée de labeur, vivront l'horreur de supporter les relents diarrhéiques de l'Algerino que leurs progénitures adorées feront résonner à fond dans l'exiguïté oppressante d'un deux pièces. De quoi briser l'harmonie d'une famille unie.
Les deux tiers des chansons de l'album sont un véritable viol du rap français qui ne méritent même pas une écoute, les textes alternant sans cohérence commentaire Youtube, conversation Facebook et punchlines Twitter. Force est de constater que l'Algérino jouit d'un certain talent pour l'enchainement de phrases sans queue ni tête, toutes plus incongrues les unes que les autres, et c'est pourquoi je lui conseille vivement de stopper le rap pour se consacrer pleinement au Kamoulox, domaine dans lequel je le crois promis à un brillant avenir. Ainsi Tireur de coup franc (1), un pathétique pamphlet de collégien contres les mythomanes, Sur la tête de ma mère (2), Pas la pour leur plaire (4), morceau très réussit dans un certain sens, Warriorz (5), Marseille by night (7), Génération no limit (8) de la connerie, Halla style (9), Quint flush (13) et M'Zia (15) ont un intérêt affreusement limité et sensé normalement disparaître avec les dernières traces d'acné juvénile. Cependant je ne résiste pas au plaisir malsain de vous citer quelques passages, notés au vol lors de mon écoute: « J'suis trop rapide, je les voient même plus dans le rétro, j'suis dans un flow Maseratti et le tien prend le métro », « Boule a zed', coupe fashion, ca se film en YZ vidéo sur Dailymotion », « J'ai trop la dalle, mon flow trop sale, salope galope cours, je fais trop mal », « J'ai une GSX-R, roue arrière, torse nue les pec' en l'air » « 100 kilos dans le A4, plein gaz sur la A7, n'essaies pas de nous mettre à l'amande, on te découpes a la machette ». Preuve formelle que les rappeurs sont les héritiers des grands poètes, Baudelaire n'aurait pas dit mieux. Inutile de s'attarder sur ce ramassis insensé d'idioties, mais je souhaite juste brièvement rebondir sur le morceau Quint Flush (13). Le titre de la chanson laisse supposer que l'Algerino est un amateur de poker, et il est vrai que l'on retrouve beaucoup de références au Texas Hold'hem dans l'album (déjà sur la pochette). Nul doute que c'est surement un très bon joueur, et bien que je brule d'envie de débattre avec lui sur l'importance de merger sa range de 4bet préflop IP face à un net lagtard qui 3bet top 20% des hands en CG SH, j'aimerais avant tout lui poser une question bien moins technique. Pourquoi quint flush et non pas quinte flush, correctement orthographié ? Peut être voulait-il le dire en anglais, pour faire plus pro devant les gamins crédules et vierges naïves de son quartier. Il est certain que ''Check this out nigga, I gat a quint flush mothafocka !'' cela sonne merveilleusement bien, au détail près que quinte se dit straight dans la langue de Shakespeare. Mais vous me direz, nous ne sommes plus à un flop prêt hein.
Cela, c'était donc le plus mauvais de l'album, passons maintenant au moins bon. Les six morceaux de rap restants sont ce que l'Algerino aimerait appeler du rap conscient. Des chansons qui traitent de sujets aussi variées que la famille, le handicap, la jeunesse, etc, mais qui en vérité ne sont rien d'autre que de mauvaises dissertations de lycéen, relativement vides de sens. Par exemple, Trinité (10) est une (bien pale) ode d'Algerino aux femmes de sa vie (sa mère, sa sœur et sa femme) qui, comparé au mythique Sacré du Rat, un des meilleurs morceaux sur le thème de la famille selon moi, me rappelle avec émotion les poésie puériles que nous produisions candidement à l'école primaire sous la supervision négligente d'une institutrice je-m'en-foutiste, dans le but de les remettre pas peu fier à nos génitrices bien aimées le jour de la fête des mères. « Elle est celle qui m'a porté neuf mois dans ses entrailles, la seule femme qui porte pour moi un amour sans faille, celle qui m'a vu pleurer pour la première fois, celle qui m'a couvé, changé les couches, couvert quand j'avais froid » (cela peut paraître comique, mais ce sont les paroles réelles). J'espère que son amour pour elles n'est pas proportionnel à la qualité de la chanson. Parce que oui c'est sincère, gentil, mignon, etc, mais putain, cela vole quand même infiniment bas. Dans Je trace ma route (3) et Avant de partir (14) (conclusion très, très, très attendue de l'album, avant d'être tristement surpris par un bonus track), l'Algérino s'essaye à la philosophie en réalisant deux sortes de biographie tentées d’auto-psychanalyse, et bourrées de banalités affligeantes énoncées sur un ton moralisateur à blaser un hédoniste; « La satiété de fric ne fait qu'empirer la société », « Une mère et un père c'est la plus grande des richesses sur terre », « Tente le tout pour le tout avant de finir six pieds sous terre », « Dans la vie il y a des chances qui se présentent il faut les saisir ». S'en suit logiquement dans la lignée d'une tentative d'iniciation aux sciences humaines un peu de sociologie de bas étage. Il décrit avec une grande passivité dans Un sourire cache une larme (12), titre révélateur de mon état en écoutant son album, le déroulement d'une soirée avec toutes les dérives qui suivent; sexe, alcool, luxure et violence. Si Bret Easton Ellis était marseillais, rappeur et illettré, il aurait pu faire ce morceau. Cela dit, c'est probablement le morceau le plus ''intéressant'' de l'album avec Force et honneur (11) qui narre à la première personne le quotidien d'un handicapé (les quelques notes de piano dans l'instrumentale, assez rare pour le signaler, y sont surement pour beaucoup). Symptomatique d'un album qui ne convainc absolument pas, Dérapage contrôlé (6) raconte l'histoire d'un jeune de cité qui arrive à se repentir après avoir été dans de bien sombres histoires, et frôlé le point de non retour. Une sorte de pathos banlieusard, doté d'un beau message de paix et d'espoir, mais qui a énormément de mal à émouvoir, et ce malgré l'intervention remarquée, au début et à la fin du morceau, d'un ancien qui psalmodie un texte supposé être touchant avec autant d'aisance qu'une élève de CM2 qui se rend sous le regard oppressant de sa classe au tableau pour réciter timidement la poésie de la semaine.
Disserter c'est bien, bien mieux que l'objectif viscéral de devenir le chanteur référence des collèges, mais faut-il encore en avoir les moyens. C'est un peu comme si je me permettais de faire une chronique d’un album de rap, par exemple. Ces six morceaux ont beau être plein de bonne volonté et de bons sentiments, ils sonnent autant faux que la jouissance d'une actrice porno. C'est triste, mais dans le rap comme dans les films de cul, il n'y a plus que les amateurs qui me font bander. Je vais tout de même terminer sur une note positive, le titre de l'album est très bien choisit. Très, très bien choisit. La pochette, élément importantissime sensé représenter l'artiste et ses œuvres, est aussi ridicule que le contenu du cd. Cela doit être ça, l'effet miroir...
-Ari-
Note: 1/10.
« Hé Ari ! Alors ? Patate hein ?! Hahaha, j't'avais dis ! Ça fait plaisir qu't'es d'retour dans l'rap ! Hé dis moi, t'as écouté l'album d'la Sexion d'Assaut ? Et y’a bientôt l’nouveau d’Despo Rutti aussi ! »